Homme
libre, toujours, tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire
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Par Yvette44 le 21 Février 2011 à 06:59
Adrien Schulz Cueillette de fleurs
CONSEIL
Eh bien! mêle ta vie à la verte forêt,
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.
Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard; gravis les sentiers les plus rudes.
Va devant toi, baisé par l'air des solitudes,
Comme une biche en pleurs qu'on effaroucherait.
Cueille la fleur agreste au bord du précipice,
Regarde l'antre affreux que le lierre tapisse
Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.
Marche et prête l'oreille en tes sauvages courses;
Car tout le bois frémit, plein de rythmes confus,
Et la Muse aux beaux yeux chante dans l'eau.Théodore de Banville
(1823-1891)
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Par Yvette44 le 19 Février 2011 à 06:45
L'enfance
Qu'ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
je coulai ma douce existence,
Sans songer au lendemain.
Que me servait que tant de connaissances
A mon esprit vinssent donner l'essor,
On n'a pas besoin des sciences,
Lorsque l'on vit dans l'âge d'or !
Mon cœur encore tendre et novice,
Ne connaissait pas la noirceur,
De la vie en cueillant les fleurs,
Je n'en sentais pas les épines,
Et mes caresses enfantines
Étaient pures et sans aigreurs.
Croyais-je, exempt de toute peine
Que, dans notre vaste univers,
Tous les maux sortis des enfers,
Avaient établi leur domaine ?
Nous sommes loin de l'heureux temps
Règne de Saturne et de Rhée,
Où les vertus, les fléaux des méchants,
Sur la terre étaient adorées,
Car dans ces heureuses contrées
Les hommes étaient des enfants.
Gérard de Nerval (1822)
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Par Yvette44 le 22 Janvier 2011 à 06:50
En hiver, moi je me colle à la cheminée.
La neige, le froid , très peu pour moi!
Je suis une fille du Sud.
En hiver
Le sol trempé se gerce aux froidures premières,
La neige blanche essaime au loin ses duvets blancs,
Et met, au bord des toits et des chaumes branlants,
Des coussinets de laine irisés de lumières.
Passent dans les champs nus les plaintes coutumières,
A travers le désert des silences dolents,
Où de grands corbeaux lourds abattent leurs vols lents
Et s'en viennent de faim rôder près des chaumières.
Mais depuis que le ciel de gris s'était couvert,
Dans la ferme riait une gaieté d'hiver,
On s'assemblait en rond autour du foyer rouge,
Et l'amour s'éveillait, le soir, de gars à gouge,
Au bouillonnement gras et siffleur, du brassin
Qui grouillait, comme un ventre, en son chaudron d'airain.Emile Verhaeren
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Par Yvette44 le 12 Janvier 2011 à 06:34
Nuit de neige
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.Guy de Maupassant (1850-1893)
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Par Yvette44 le 10 Janvier 2011 à 07:14
Rosées
Je rêve, et la pâle rosée
Dans les plaines perle sans bruit,
Sur le duvet des fleurs posée
Par la main fraîche de la nuit.
D'où viennent ces tremblantes gouttes ?
Il ne pleut pas, le temps est clair ;
C'est qu'avant de se former, toutes,
Elles étaient déjà dans l'air.
D'où viennent mes pleurs ? Toute flamme,
Ce soir, est douce au fond des cieux ;
C'est que je les avais dans l'âme
Avant de les sentir aux yeux.
On a dans l'âme une tendresse
Où tremblent toutes les douleurs,
Et c'est parfois une caresse
Qui trouble, et fait germer les pleursRéné-François SULLY PRUDOHMME
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Par Yvette44 le 27 Novembre 2010 à 16:52
Le poème qui suit n'est pas de moi, il est de Marielle
http://marielle-poesie.over-blog.com/
C'est une gentille mamie, un peu plus âgée que moi,
mais qui a de gros soucis de santé en ce moment.
Je ne lui ai pas demandé la permission de me servir.
Si vous aviez la gentillesse de passer sur son blog pour la réconforter
elle serait heureuse et elle en a besoin.
Douces campagnes
Dans nos campagnes si douces,
Sous les enclos intimes et feuillus,
Les violettes se blottissent au creux des mousses,
Quand s'estompe le jour et tinte l'angélus.
Au bord d'une rivière docile,
Pleure un vieux saule penché.
Les saisons s'écoulent ...les années,
Sous un bonheur caché et tranquille.
Tout au long des paisibles ruisseaux,
Des chemins creux comme au temps féodaux,
En nos terroirs flâne la mélancolie,
Pour garder en nos coeurs, toutes les rêveries.
Et la plume de "Sand" sous la lampe feutrée,
Berce les paysages dans la brise mouillée.
J'aime ce coin de Terre où j'ai ouvert les yeux,
Où pauvres mais heureux, ont vécus mes aïeux !
Marielle
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Par Yvette44 le 9 Novembre 2010 à 06:55
Homme et son chien dans le bois de Ch Ligny (1812-1889)
Automne
A pas lents et suivis du chien de la maison
Nous refaisons la route à présent trop connue.
Un pâle automne saigne au fond de l'avenue,
Et des femmes en deuil passent à l'horizon.
Comme dans un préau d'hospice ou de prison,
L'air est calme et d'une tristesse contenue ;
Et chaque feuille d'or tombe, l'heure venue,
Ainsi qu'un souvenir, lente, sur le gazon.
Le Silence entre nous marche... Coeurs de mensonges,
Chacun, las du voyage, et mûr pour d'autres songes,
Rêve égoïstement de retourner au port.
Mais les bois ont, ce soir, tant de mélancolie
Que notre coeur s'émeut à son tour et s'oublie
A parler du passé, sous le ciel qui s'endort,
Doucement, à mi-voix, comme d'un enfant mort...
Albert SAMAIN
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Par Yvette44 le 6 Novembre 2010 à 07:07
L'automne
Voici venu le froid radieux de septembre :
Le vent voudrait entrer et jouer dans les chambres ;
Mais la maison a l'air sévère, ce matin,
Et le laisse dehors qui sanglote au jardin.
Comme toutes les voix de l'été se sont tues !
Pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues ?
Tout est transi, tout tremble et tout a peur ; je crois
Que la bise grelotte et que l'eau même a froid.
Les feuilles dans le vent courent comme des folles ;
Elles voudraient aller où les oiseaux s'envolent,
Mais le vent les reprend et barre leur chemin
Elles iront mourir sur les étangs demain.
Le silence est léger et calme ; par minute
Le vent passe au travers comme un joueur de flûte,
Et puis tout redevient encor silencieux,
Et l'Amour qui jouait sous la bonté des cieux
S'en revient pour chauffer devant le feu qui flambe
Ses mains pleines de froid et ses frileuses jambes,
Et la vieille maison qu'il va transfigurer
Tressaille et s'attendrit de le sentir entrer...Anna de Noailles
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Par Yvette44 le 28 Octobre 2010 à 06:41
On les a fait Venir!
Je suis le chat de cimetière,
De terrain vague et de gouttière,
De haute-Egypte et du ruisseau
Je suis venu de saut en saut.Je suis le chat qui se prélasse
A l'instant où le soleil passe,
Dans vos jardins et dans vos cours
Sans avoir patte de velours.Je suis le chat de l'infortune,
Le trublion du clair de lune
Qui vous réveille dans la nuit
Au beau milieu de vos ennuis.Je suis le chat des maléfices
Condamné par le Saint-Office;
J'évoque la superstition
Qui cause vos malédictions.Je suis le chat qui déambule
Dans vos couloirs de vestibules,
Et qui fait ses petits besoins
Sous la porte cochère du coin.Je suis le félin bas de gamme,
La bonne action des vieilles dames
Qui me prodiguent le ron-ron
Sans souci du qu'en dira-t-on.Epargnez moi par vos prières
Le châtiment de la fourrière
Où finissent vos émigrés
Sans demeure et sans pedigree.
Henri Monnier
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